DIEU N’EST
PAS CENTRAFRICAIN
De l’échec de
Boganda à la Transition
Il y a quelques jours, je discutais avec un ami
journaliste centrafricain qui voulait absolument que je lui dise le nom de la
personne qui tire les ficelles de
« l'angolagate ».
-Lui : « CBM, puisque tu prétends que ni
Sassou, ni Nguendet, ni Meckassoua ne sont impliqués dans l'exploitation de
l'angolagate, alors dis-moi qui est cette
personne ? »
-Moi : « Il faut savoir exploiter une
information en la sortant au bon moment. Cela n'est pas seulement valable pour
la politique mais aussi pour le journalisme. »
-Lui : « Tu rejettes aussi la question du
pétrole dans l'angolagate et la crise centrafricaine. Le peuple veut savoir, il
faut nous glisser les infos. »
-Moi : « Ben, demandes au peuple lui-même
de lancer sa quête »
-Lui : « tu connais bien ce peuple, ce
serait lui demander la nationalité de Dieu »
...C'est à cet ami journaliste que je dois le titre
de ce billet.
L'une des clés de l'explication du drame de l'ex
Oubangui-Chari est le rapport du Centrafricain avec la mort....Wow, Vadé retro
satanas !
Oui, le rapport du Centrafricain avec la mort. Dans
l'ex Oubangui-Chari, il n y a jamais de mort naturelle.
Le bulletin médical de la personne décédée indique
noir/blanc qu'elle est morte d'une tumeur aux poumons, on trouvera une voisine
dans le quartier pour faire d'elle, la méchante sorcière ayant vampirisée la
défunte.
Le bulletin médical de la personne décédée indique
noir/blanc que cette dernière était porteuse du HIV. Mais on trouvera une tante
ou un oncle dans la famille pour porter la responsabilité de cette
mort.
La plupart du temps, ce sont des personnes lettrées,
disposant de références certifiées sur le plan académique ou professionnel qui
sont à l'origine de ces fantasmes mortifères. Qui abrutissent plus qu'ils
n’éclairent.
Ainsi donc, la culture centrafricaine n'accepte pas
ce qui est normal, ce qui est naturel. Par culture centrafricaine, j'entends ici
parler de trait traditionnel commun à toutes les peuplades présentes sur les
623.000 km² de ce qu'est l'ex Oubangui-Chari. C'est toujours la faute des
autres. Le diable, c'est toujours le voisin. Le fautif, c'est toujours celui qui
est en face. Un peuple qui ne se remet pas en cause et une élite spécialisée
dans la caricature et l'anathème, ne trouveront aucune solution à leurs
difficultés et seront pour l’éternité, voués à servir de paillasson à d'autres
peuples et seigneurs. Ainsi est fait le monde. Ainsi est l'histoire de
l'humanité.
Sentant sa fin imminente, le général Yangouvonda et
ses communicants avaient lancés la notion de la double guerre. D'une part, la
guerre religieuse c'est à dire la volonté de Djotodia et ses desperados de faire
de la RCA un émirat islamique au cœur de l'Afrique et d'autre part, la guerre du
pétrole, c'est à dire la volonté de
Deby de mettre la main sur les « réserves » pétrolières du lac mamoun
dans la Vakaga.
Depuis que les Debyboys sont partis de la RCA à la
faveur d'un rejet global des Centrafricains, on a rapidement fait des Français,
les marionnettistes de la crise centrafricaine. Il m'arrive de lire ici et là
des légendes selon lesquelles la crise centrafricaine n'est pas encore arrivée à
son terme car la grille de répartition des intérêts pétroliers souffre encore de
divergence. J'ai même entendu quelqu'un soutenir sur un grand média que les
réserves du Lac Mamoun produiraient UN MILLION de barils par jour et c'est à
cause de cela que la crise dure. Ce qui placerait la RCA dans le peloton de tête
des producteurs pétroliers du Continent et même du monde lorsqu'on sait que des
indices pétroliers sont présents en dehors de la Vakaga. Si je n'avais pas
écouté quelques mois auparavant Yangouvonda et ses communicants dire que le
pétrole centrafricain « coulera » en 2014, j'aurai éclaté de rire.
Mais les déclarations de la fin de règne de la Bozizie étaient suffisantes pour
que je fasse l’économie d'un MDR au carré.
L’ÉCHEC FONDATEUR
Au soir du 28 novembre 1958, B. Boganda et ses amis
du MESAN contemplent impuissants, la proclamation de la République du Congo
Brazzaville. Le pays de l'Abbé Fulbert Youlou et Opangault était le dernier des
territoires de l'Afrique Équatoriale Française qui voulait lier son destin dans
un état fédéral avec l'Oubangui-Chari de l'Abbé Boganda. Ce 28 novembre 1958,
c'était donc la mort de ce projet qui aura occupé une part importante de
l'agenda politique de Boganda dès son élection à la présidence du grand conseil
à Brazzaville. Trois jours plus tard, le 1er décembre 1958 la République était
proclamée et la RCA, lancée.
La tragique disparition de B. Boganda cinq mois
après la naissance de la République Centrafricaine n'arrangeant pas les choses,
naquirent pour l'aspect politique, les postulats du complot, de la victimisation
et de la faute de l'autre, des autres. Au point que même des gens nés bien des
années après Boganda, se servent de cette parenthèse historique (1958-1959) pour
justifier une faute politique de 2014, liée à une décision de 2014 dans le
contexte de 2014.
Il y a quelques mois, j'ai lu une déclaration d'un
des 70 candidats à la présidentielle de 20XX selon laquelle, mettre rapidement
en place un état fédéral sur la base de la défunte République Centrafricaine de
1958 est la solution appropriée non seulement pour l'ex Oubangui-Chari mais
aussi pour l'Afrique Centrale. Prendre pareille position en 2014, c'est non
seulement ne pas comprendre les réalités de la crise centrafricaine mais c'est
aussi ne pas comprendre les causes de l’échec de 1958.
Des quatre territoires de l'AEF, l'Oubangui-Chari était en 1958 celui qui n'avait aucune importance économique. C'est ici et seulement ici que résident les causes de l'échec de ce qu'il faut nommer l’échec fondateur puisque durant ses mandants, Boganda n'avait pas de projet pour l'Oubangui-Chari mais pour l'Afrique. La dénomination du MESAN résume cette ambition et permet, je l'espère, d'éviter toute polémique inutile avec ceux qui sont allergiques à l'évocation de ce sujet. L'Oubangui-Chari n'avait pas de projet pour lui-même et aucune importance économique. C'était le dépôt de l'empire colonial, celui de la main d’œuvre corvéable à merci et du travail forcé. C'était le territoire conquis par hasard et sans ambitions, c'était terrae incognitae et c'était aussi la terre de tous les fantasmes et légendes.
Le 1er territoire de l'AEF à avoir proclamé la
République était le Gabon de Léon Mba suivi du Tchad et du
Congo.
Boganda avait deux handicaps majeurs dans son
projet :
1 : il était soupçonné d'agir par ambition
personnelle et ;
2: il n'était pas conscient du poids réel de son
territoire au sein de l'AEF, de l'Afrique et du monde en cette année
1958.
En 1956, la France venait de découvrir du pétrole au
Gabon. À cause de la situation en Algérie, elle a décidé de faire du pays de
l'Okoumé, une de ses sources d'approvisionnement. Le Gabon entrait dans l'ère
industrielle.
Durant la même décennie, un immense projet était
lancé au Congo Brazzaville, le barrage de la Kouilou dans la région de la
Sounda. « ...un immense lac artificiel de
L'équation était simple : le Gabon puis le
Congo ne voulaient pas payer le coût de l'intégration et du développement à la
place des Oubanguiens et des Tchadiens. D'ailleurs le rêve de Youlou était celui
de la (ré) fondation d'un état Bakongo.
Boganda et le MESAN ne l'avaient pas compris même si durant quelques
jours, le socialiste Congolais Opangault fut son allié.
Aujourd'hui encore, nous nous gavons de légendes
pour expliquer la crise centrafricaine. Nous nous abreuvons de fantasme et de
terrorisme intellectuel pour satisfaire nos calculs catégoriels. La moindre
observation, le simple mot, l'innocent point d'interrogation, suffisent pour
déclencher une terrible vendetta où se coalisent toutes les forces,
intelligences et sentiments imaginables. La tolérance a disparu et avec elle,
l'interrogation légitime. La tolérance a disparu et avec elle, l'Espérance.
Et j'ai peur. Peur de ce qui sera le Centrafrique,
lorsque les 69 autres vaincus de la présidentielle de 20XX, rejetteront ses
résultats. J'ai peur car la situation risque d'être pire que ce que nous avons
connu ces deux dernières années. J'ai peur de ce paysage politique où tout le
monde dispose de sa machette dans le dos.
Non, ce n'est pas la France qui est la cause de
notre drame. La mort qui est devenue un objet banal dans l'ex Oubangui-Chari
n'est pas donnée par la France et les Français. Ce sont des fils et filles, ce
sont des habitants allochtones et autochtones de l'ex Oubangui-Chari qui la
donnent.
Non, l'être humain qui est aujourd'hui dépecé,
désacralisé et même consommé, ce n'est pas la France et les Français qui
profanent l'homme dans son entité la plus sacrée. Ce sont des fils et filles de
l'ex Oubangui-Chari.
Non, ce ne sont pas seulement certains qui sont la
cause de ce drame. Ce sont tous ceux qui, SANS EXCEPTION, encartés politique ou
pas, en 56 années de régime autonome et indépendant, ont eu le privilège de
servir ce pays qui sont la cause de son malheur.
Non, ce ne sont pas les Tchadiens, les Congolais,
les Camerounais et les Français qui sont la cause de ce
calvaire.
Non, ce ne sont pas les Franc-maçons, les
rosicruciens et que sais-je encore qui sont les causes de ce
drame.
Oui, ce
sont d'abord les fils et filles de Centrafrique car le bourreau du
Centrafricain, c'est le Centrafricain lui-même.
J'ai commencé ce billet en empruntant son titre à une conversation privée. Je le finis en empruntant les mots qui suivent à un frère : « La démocratie est le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple ainsi est défini ce mot. Mais ça c'est avant. [En RCA c'est le] (2) Pouvoir d'un groupe d'hommes élu par le crime pour gouverner un peuple et pour le bien du même groupe d'hommes. »
Les partisans de l'ordre ancien, les ayatollahs du
messianisme politique, les fabricants d'anathème et de polémique ne me feront
pas changer d'opinion sur la question, le Bourreau du Centrafricain, c'est le
Centrafricain lui-même. Ainsi fut l'histoire, ainsi est la
réalité.
Le 26 décembre 2006, je publiais ce poème
« Requiem pour une aube nouvelle en
Centrafrique »(3)
:
Le Bourreau du Centrafricain, c’est
lui-même
Dans nos bouches le mot tribu ils ont mis ;
Et son sens, ils ont perverti ;
Dans nos yeux la haine, ils ont injecté
;
Dans nos bras, des haches ils ont placés ;
Dans nos champs, des armes
ils ont caché ;
Mais,…
Dans nos maisons les marmites ils ont vidé
;
Dans nos hôpitaux, la mort ils ont semé;
Dans nos quartiers la
désolation et l’humiliation ;
ils font pleuvoir ;
Dans nos villages le
désespoir et la désertification ;
Ils nous servent à boire ;
Dans nos
écoles ils ont déversé un torrent d’inculture et de méconnaissance ;
Dans le
monde entier, leurs propres enfants, ils ont abandonné ;
en déserrance et
sans aide, partis pourtant étudier ;
Dans notre pays, la pauvreté extrême ils
font régner
et depuis vingt ans, le SIDA, ils le laissent nous
décimer.
Clément De
Boutet-M'bamba
1 : Projet barrage du Kouilou
http://fr.wikipedia.org/wiki/Kouilou-Niari#Am.C3.A9nagement_-_Le_projet_du_barrage_du_Kouilou
2 : les mots entre griffes sont
miens
3 : Le Bourreau du Centrafricain, c'est le Centrafricain lui-même. CBM, Paris, 26.12.2006
http://www.sozoala.com/palabre/reflexions/r20061227001.htm